top of page

Quand le cinéma rend hommage au théâtre


Manoel de Oliveira, Je rentre à la maison, 2001


Difficile de faire vivre les cultures cinématographiques et théâtrales à l’heure de la crise sanitaire. Le printemps du cinéma qui devait se tenir du 29 au 31 mars, avec sa cohorte de programmations à tarif réduit pour cinéphiles, vient d’en faire l’amère expérience. Tout comme les festivals, sommés de réduire leurs ambitions.


Dans ce contexte morose, j’ai eu le plaisir de visionner un film très particulier de Manoel de Oliveira, Je rentre à la maison. C’était aussi un bonheur de revoir à l’écran Michel Piccoli, disparu l’année dernière; l’artiste au palmarès époustouflant nous manque terriblement.


Gilbert Valence (Michel Piccoli) est un acteur reconnu dans le monde du théâtre. Au cours de sa longue carrière, il a aligné les rôles les plus prestigieux. Un soir, son agent l’attend à la fin d’une représentation pour lui communiquer une terrible nouvelle : sa femme, sa fille et son gendre viennent d’être tués dans un accident de la route. D’abord anéanti, Gilbert Valence s’accroche à la vie, ne serait-ce que pour soutenir son petit-fils de 9 ans qu’il adore. Et puis aussi parce qu’il faut faire face, faire preuve de résilience, ne pas décevoir ses proches qui s’inquiètent de sa solitude. Alors malgré sa grande fragilité émotionnelle, il poursuit sa quête de rôles exigeants, écartant d’un revers de main les superproductions audiovisuelles. Il s’accroche au théâtre pour noyer sa douleur.


Car le théâtre s’imbrique dans le scénario accompagnant Gilbert dans la gloire puis le deuil et enfin la vieillesse solitaire. La scène initiale du film présente un Gilbert Valence désabusé en Béranger 1er, cloué sur son trône, dans Le roi se meurt de Ionesco. Il refuse d’accepter la décrépitude repoussant un à un les oiseaux de mauvais augure qui le mettent en garde contre le déclin du royaume. Puis, dans La Tempête de Shakespeare, il est un Prospero autoritaire qui peu à peu baisse la garde, se laisse fléchir devant ceux qu’il dominait pour finalement atteindre la sagesse. Maintenant dans l’épreuve, acceptera-t-il une improbable adaptation d’Ulysse de Joyce, proposée par un réalisateur américain survolté (qui n’est autre que John Malkovitch) ?


Le film a été réalisé durant une période d’intense collaboration entre Manoel de Oliveira et Michel Piccoli. En fait il est basé sur la complicité entre ces deux monstres sacrés du cinéma plus que sur un scénario véritable. Manoel de Oliveira, qui n’a pas hésité à adapter pour le grand écran les œuvres les plus difficiles de la littérature et du répertoire (on pense ici au Soulier de satin d’après Paul Claudel, un long métrage de près de 7 heures !), rend un puissant hommage aux dramaturges de tous les temps. Hommage aux plus grands du cinéma aussi, sollicitant dans un retour sur scène Catherine Deneuve et John Malkovitch, déjà engagés en 1995 pour le tournage du Couvent. L’interprétation de Michel Piccoli entre délicatesse et pudeur est remarquable, et n’est pas sans évoquer sa propre carrière, exceptionnelle, au théâtre comme au cinéma.





It is challenging to bring film and theatrical cultures to life during the sanitary crisis. Le Printemps du Cinéma, which was to take place from March 29 to 31, with its cohort of programs at reduced prices for moviegoers, has just experienced this bitter reality. Just like the festivals required to reduce their ambitions.


In this gloomy context, I had the pleasure of watching a very particular film by Manoel de Oliveira, Je rentre à la maison. It was a pleasure to see Michel Piccoli, who passed away last year, on-screen again; we miss the artist with his breath-taking career.


Gilbert Valence (Michel Piccoli) is a recognised actor in the world of theatre. During his long career, he has lined up the most prestigious roles. One evening, his agent waits for him at the end of a performance to give him terrible news: his wife, daughter, and son-in-law have just died in a traffic accident. At first devastated, Gilbert Valence clings to life, if only to support his 9-year-old grandson, whom he adores; and also because you have to face it, be resilient, not disappoint those close to you who are worried about your loneliness. So despite his great emotional fragility, he continues his quest for demanding roles, dismissing audio-visual blockbusters. He clings to the theatre to drown his pain.


Because the theatre fits into the scenario accompanying Gilbert in glory, then in mourning, and finally in old age solitary. The film's opening scene features a disillusioned Gilbert Valence as Beranger the 1st, on his throne, in Ionesco's Le roi se meurt. He refuses to accept the decrepitude repelling one by one the ominous birds who warn him against the decline of his kingdom. Then, in Shakespeare's La Tempête, he is an authoritarian Prospero who gradually lets his guard down, bend in front of those he dominated and finally gains wisdom. Now in the ordeal, will he accept an unlikely adaptation of Joyce's Ulysses, proposed by an impassionate American director (none other than John Malkovich)?


The film was made during a period of intense collaboration between Manoel de Oliveira and Michel Piccoli. It is, in fact, based on the complicity between these two giants of cinema more than on a real scenario. Manoel de Oliveira who did not hesitate to adapt for the big screen the most intricate works of literature and repertoire (we think here of the Soulier de satin by Paul Claudel, a feature film of nearly 7 hours!), pays a powerful tribute to playwrights of all time. A tribute to the cinema giants too - requesting Catherine Deneuve and John Malkovitch to return to the stage while already engaged for filming in 1995 the Couvent. The delicate and modest interpretation of Michel Piccoli is remarkable and is reminiscent of his exceptional career both in theatre and in cinema.



© Article Catherine Guiat / Traduction Solange Daufès

13 vues0 commentaire
bottom of page