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Il y a longtemps que je t'aime, film de Philippe Claudel


© 2008 - Columbia/TriStar


Voici un film qui m’avait beaucoup touché au moment de sa sortie et sur lequel j’aimerais revenir aujourd’hui : Il y a longtemps que je t’aime de Philippe Claudel avec Kristin Scott Thomas et Elsa Zylberstein dans les rôles principaux. Raison supplémentaire, Philippe Claudel est un amoureux de l’Ecosse ; il a participé plusieurs fois au Festival international du livre d’Edimbourg où c’est toujours un plaisir de le rencontrer. Ecrivain bien connu, que l’on pense au magnifique « Rapport de Brodeck » (prix Goncourt des lycéens en 2007) ou aux « Ames grises » (prix Renaudot 2003) merveilleusement porté à l’écran par Yves Angelo, Philippe Claudel avait de tout temps souhaité se lancer dans le cinéma, qu’il enseigne d’ailleurs à l’université de Nancy conjointement à la littérature.


Dans ce film, Philippe Claudel a laissé une grande place aux préoccupations qui traversent ses romans. Se lancer dans le cinéma c’était pour lui le moyen de faire le point sur son œuvre littéraire, d’explorer les mêmes thèmes par le biais d’un autre média.


Les données de l’intrigue sont exposées dès le début du film. Juliette (Kristin Scott Thomas), médecin de formation, sort de prison après avoir purgé une peine de 15 ans pour le meurtre de son fils. Seule, ne sachant où aller, elle va résider provisoirement chez sa sœur Léa (Elsa Zylberstein), qui enseigne les Lettres modernes à l’université de Nancy. Ces retrouvailles sont difficiles après une si longue absence marquée par l’ostracisme de la famille à l’égard de Juliette mais elles vont cependant lui permettre de renouer peu à peu avec la vie.


Le film est placé d’emblée sous le signe du mystère et de « l’abîme » pour reprendre le terme de Philippe Claudel. L’abîme car beaucoup de personnages de Claudel se tiennent au bord de la chute, au bord de l’écueil qui les attire irrémédiablement. Dans le cas présent, Juliette, s’est murée dans le silence qui a accompagné sa déchéance. Elle n’a aucunement essayé de se disculper ni même d’exposer les motifs de son acte.


C’est donc la recherche de la vérité, de la sincérité qui sous-tend le film. En ce sens, Kristin Scott Thomas est extraordinaire. Elle apparait sobrement habillée de couleurs automnales, neutres, en lien avec la grisaille du ciel. L’absence de maquillage accentue la dureté et la tristesse des traits. Elle intervient par phrases courtes, parfois heurtées, montrant ainsi que sa douleur peine à s’exprimer par les mots. En fait, elle ne peut pas exprimer sa douleur, elle la retourne contre elle. Son accent donne de la profondeur et de la gravité à sa voix. La vivacité de Léa fait opposition au mutisme de sa sœur, mais c’est une vivacité imprégnée de toute l’anxiété de la situation. Le dépouillement de la mise en scène place spontanément le spectateur auprès des personnages.


Le choix du lieu, une grande maison à étage, n’est pas non plus anodin. L’escalier en colimaçon permet des plans en contre-plongée sur Juliette qui soulignent le côté inquiétant du personnage, à la manière d’Hitchcock. Philippe Claudel a recherché à travers ces plans aux couleurs sombres, l’atmosphère des tableaux de Hopper qui témoignent d’attentes improbables. Mais là encore, par opposition, la douceur peut surgir de quelques lieux privilégiés, comme une lueur d’espoir : une chambre d’enfant par exemple et surtout la bibliothèque de Papy Paul où le vieil homme, silencieux et bienveillant aime passer ses journées. Ce lieu et cette présence sont un véritable soulagement pour Juliette ; elle y ressent une chaleur douce et réconfortante.


Le rythme du film traduit également l’évolution du personnage de Juliette. Les scènes s’étendent dans la durée, l’immobilité, au début. Puis, au fur et à mesure de son retour à la vie, le film s’accélère, la lumière se lève et les couleurs s’éclaircissent. Les scènes en extérieur sont aussi plus nombreuses permettant à Philippe Claudel de présenter quelques lieux mythiques immortalisés dans ses romans : Le café de l’Excelsior pour une dernière rencontre avec l’inspecteur, le musée d’art de Nancy où sont conservés bon nombre de tableaux d’Emile Friant, peintre nancéen qui a beaucoup influencé Philippe Claudel dans sa réflexion. Même le choix des livres qui parsèment la maison n’est pas le fruit du hasard. On y retrouve, parmi d’autres, les œuvres fétiches du Giono d’après-guerre qui ont tant inspiré Claudel (Le rapport de Brodeck).


Enfin, par le biais de ce film, le réalisateur revient sur son expérience du milieu carcéral où il a enseigné pendant 11 ans. Quels sont les effets d’une longue peine de prison sur un individu, notamment en termes de désocialisation ? Un retour à une vie normale est-il possible ? Quel est le regard de la société, de l’entourage sur les anciens condamnés. Autant de questions qui alimentent le cheminement du réalisateur tant le thème de « l’enfermement », enfermement physique et moral est omniprésent.

Un film à voir ou à revoir ; une belle histoire, vraiment, magnifiquement portée par la caméra.


NB : Philippe Claudel est longuement revenu sur ce film et son tournage dans son livre : Petite fabrique des rêves et des réalités, Stock, 2008. Cet ouvrage comprend également le scénario du film.


Pour poursuivre sur l’univers de Philippe Claudel, citons :

- Sur le peintre nancéen Emile Friant : Au revoir Monsieur Friant, Stock, 2016.

- Sur l’expérience de l’enseignement en milieu carcéral : Le Bruit des trousseaux, Stock, 2002.

- Sur le café de l’Excelsior, beaucoup fréquenté par Claudel quand il était étudiant : Le café de l’Excelsior, La Dragonne, 1999.

Ces titres sont actuellement disponibles en édition de poche.



I found this film very touching when I saw it just after its release in 2008: I’ve loved you so long by Philippe Claudel, with Kristin Scott Thomas and Elsa Zylberstein. Philippe Claudel is a well known novelist who loves Scotland; he comes regularly to the Edinburgh International book festival where it is a pleasure to meet him.


Philippe Claudel wanted to start a career as a filmmaker, as he teaches film studies at the University of Nancy. His idea was to address the same themes he explored in his novels, using his camera this time.


The story: Juliette (Kristin Scott Thomas) who was a Doctor, spent 15 years in jail for the murder of her son. After being released from prison she stays temporarily at her sister Lea’s house because she has nowhere to go. It is a strange and distressing moment for both of them after such a long time without seeing each other.


Juliette is at the breaking point of a life. She did not try to explain why she killed her son. The pain is obvious but she cannot express it with words. Kristin Scott Thomas is beautiful in her sadness. In contrast, Lea portrays herself as a livelier character however this is because she is anxious.


The story is set in a big dark mansion full of mystery. But again, in contrast some parts of the house are more welcoming: a child bedroom for instance or the small library cabinet where Papy Paul spends his days, reading books. The silent yet very kind old man comforts her.


Philippe Claudel worked as a teacher in prisons for 11 years. In this film he wanted to address some issues such as the effects on long sentences and what impact it has on people. Is it possible to have a normal life after that?

A beautiful story…


© Article par Catherine Guiat

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