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Concours d'écriture - Sur le point de vingt

Sur le point de vingt

Inspired by the song "Time" by Pink Floyd



À dix-sept ans j’ai vieilli brutalement. En me préparant pour sortir un matin, j’ai remarqué la première ride au coin de ma bouche et quelques jours plus tard, j’ai vu un cheveu gris intrus parmi mes boucles brunes. Et, terrifiée, comme Dorian Gray qui réalisa que son portrait avait commencé à changer en reflétant tous ses péchés, j’ai vu que mon regard était tout d’un coup devenu plus profond et qu’il y avait la conscience de l'existence du mal; la réalisation de la douleur et de la souffrance dans le monde autour de moi. Plus important encore, l'étincelle avait disparu. Celle qui a porté et révélé et crié l’enthousiasme d’être vivant. Alors, courbée par le poids de cette réalisation, je suis partie dans un petit bois près de chez moi, qui a été mon havre et mon royaume depuis ma plus tendre enfance et j’avais pensé que dans la familiarité de ses arbres j’aurais pu retrouver de l'espoir. Je suis descendue à la rivière, m’allongeant sur les gros rochers et laissant le courant dépasser mon corps, ma peau presque aussi translucide que l'eau, mon toucher aussi froid que sa caresse. Je sentais le vent, qui sonnait ses accords entre les feuilles, souffler sur mon cou. Je m’imaginais que si je m’abaissais pour boire de ce fleuve, alors comme les âmes d’anciens Grecs qui buvaient les eaux du Léthé, j’aurais pu peut-être recommencer de nouveau.


Le soir, je suis allée errer dans les rues vides et étroites de ma ville, pleine des jeunes créatures de la nuit comme moi, qui se cachaient du froid dans les bars et les boîtes, leurs yeux vides comme les rues dans lesquelles on se perd. Ces âmes inquiètes cherchaient aussi à se céder à l’oubli mais leur fleuve avait une forte concentration d'éthanol et leur petit bois était la foule de corps en sueur. Ne pensant pas au futur, ne vivant que du présent, ils ne cherchaient rien dans la profondeur des yeux, effrayés par ce qu’ils auraient pu découvrir s'ils auraient commencé à réfléchir. Et ce soir-là, j’ai oublié avec eux. J’ai laissé la musique couler dans mes oreilles, sur la nuque, et là se propager derrière mes épaules, descendant doucement par mes bras, et puis, suivie dans une extase chaotique par mes pieds, je l’ai laissée pénétrer mes coins les plus profonds. Je me réincarnai.


Toute jeune, on a la sensation que le monde est à nous et que même la lune n’est pas trop loin. Mais alors qu’on grandit, la lune s'éloigne de plus en plus. Et puis, pas après pas, choix après choix, un jour on se réveillera en nous retrouvant, comme Alice au Pays des Merveilles, piégés de l’autre côté du miroir, dans une vie qu’on n’a pas choisie, qui ne nous appartient pas, personnages secondaires dans une vie qui pourrait autant être d’un autre, jamais seuls mais toujours solitaires. Et alors on méditera sur tout ce qui a été et qui aurait pu être, mais la lune sera déjà trop loin et on ne pourra jamais plus l’attraper.



Text by Eva Vaynshteyn (University of Edinburgh)

Poster and animation by Grace Black




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