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Cinéma: Les glaneurs et la glaneuse, d'Agnès Varda

Agnès Varda, Les glaneurs et la glaneuse, 2000

Agnès Varda nous a quittés l’année dernière. Depuis, rétrospectives et hommages se sont multipliés pour revisiter l’œuvre de cette grande dame du cinéma.

Parmi ses films, Les glaneurs et la glaneuse est l’un de ceux qui m’ont le plus marquée. Il faut dire que le sujet est résolument original, à l’image du cinéma de Varda. Le point de départ est le tableau de Millet, Les Glaneuses, symbole d’une France rurale séculaire, mais appauvrie au cours d’un Second Empire favorisant l’urbanisation. Charmée par la référence artistique, elle entreprend une vaste enquête sur cette activité intemporelle.


Utilisant toutes les capacités de sa caméra portable, la réalisatrice circule de petites exploitations agricoles en zones de monoculture intensive. Dans tous les cas, la problématique est la même, récupérer les derniers épis de blé pour nourrir hommes et bétail ou rassembler les rebuts de la grande consommation. Carottes tordues, pommes de terre en forme de coeur, fruits difformes ou gâtés, tout est bon pour le glaneur avide de provisions pour l’hiver ; que ce soit par nécessité, par souci d’économie ou pour le plaisir de fouiner. Se référant aux définitions anciennes du terme, elle dévoile une tradition où glaner ce qui est au sol s’oppose à la cueillette ou « grappillage », l’un complétant l’autre.


Dans les villes, c’est tout un monde marginal qui se faufile parmi les restes des marchés, les poubelles éventrées. Nous sommes même initiés à la façon d’accommoder poulets et poissons douteux…voire sérieusement avariés (âmes sensibles s’abstenir !).


Cette partie urbaine du documentaire laisse place à un personnage peu banal, Alain Fonteneau, rencontré sur un marché parisien alors qu’il faisait sa provision de légumes. Agnès Varda l’avait remarqué en raison de son intérêt pour le persil, que l’homme picorait goulûment. Entre deux bouchées, il lui explique doctement que cette herbe aromatique présente quantité de vitamines indispensables à l’organisme. Très vite, nous apprenons que cet habitant de La Verrière, vient régulièrement arpenter les fins de marchés. Ancien professeur de biologie, il vit dans un foyer Sonacotra où il dispense des cours d’alphabétisation pour les migrants. Agnès Varda, fascinée par cet « acteur », le rencontrera périodiquement par la suite. Elle l’a même incité à écrire son autobiographie. C’est chose faite en 2017 avec la parution de Itinéraire bis ; itinéraire d’un homme d’une grande simplicité, préférant un parcours alternatif à la société de consommation ambiante.


Alain Fonteneau définit ainsi les effets de sa participation impromptue au film de Varda :« Avant ma médiatisation, j'étais un inconnu. En 2000, me voici devenu un illustre inconnu». Inconnu mais aucunement insignifiant ; bien au contraire. Le cinéma de Varda ne se complaît pas dans l’anecdote, elle s’approprie un monde. La réalisatrice s’approche des individus, d’expériences personnelles. La multiplicité des témoignages se croisent pour recréer l’universel. A travers ses personnages, c’est également son propre itinéraire qui affleure. Agnès Varda est toujours partie prenante dans ses films. Il ne s’agit jamais d’un regard extérieur. En tant que narratrice, sa voix-off répond aux reflets de son image entraperçus aux moments les plus inattendus. En évoquant un phénomène ancestral, elle s’interroge sur la mémoire et la précarité de la vie. D’ailleurs, elle ne s’épargne pas, analysant sans complaisance le passage du temps sur son propre corps. Son cheminement de cinéaste et de femme s’insère ainsi dans cette étude sociétale. Elle est la glaneuse parmi les glaneurs.

Agnes Varda passed away last year, and out of all of her films Les glaneurs et la glaneuse seems to have impacted me most.


The subject matter is undeniably peculiar, typical of Varda’s works. The film was inspired by Millet’s painting, Les glaneuses, symbolising rural France, impoverished by urbanisation. Varda, charmed by this artistic representation, conducted her own investigation on this timeless activity.


Taking full advantage of her portable camera, the director explores various independent agricultural settlements located in the midst of intensive monocultural facilities. There, everyone faces the same ever-present problem; scavenging enough food to sustain the communities and their animals. Twisted carrots, heart-shaped potatoes, deformed fruits and vegetables, all are suitable provisions for harsh winters, usually out of necessity, but sometimes out of the pleasure of foraging.


In the cities, some survive on leftover market produce or upturned rubbish bins. The viewer is even introduced to the practice of seasoning dubious (or even completely rotten) fish or chicken. An eccentric character appears in this urban part of the documentary; Alain Fonteneau, whom we meet in a Parisian vegetable market. Varda had noticed this endearing personage due to his love for parsley, which he nibbled at blissfully, and delightedly informs the crew of the various vitamins and nutrients present in this aromatic herb. In fact, Agnes Varda was so intrigued by Fonteneau that she encouraged him to write his autobiography, Itinéraire bis, which was published in 2017.


Varda’s cinema doesn’t rely on mere facts, but re-creates entire worlds through the encounters the director has with various individuals and their experiences; the vast diversity of which adds to the universal element of her documentaries. Agnes Varda always finds a way to tell her own story through the characters in her work. Here, she evokes an ancestral phenomenon, questions the precariousness of life and analyses the passing of time on herself as a filmmaker and a person in this social study.



© Article par Catherine Guiat

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