« Ainsi va la vie à bord du Redoutable »
Le pari était audacieux, aborder un monstre sacré du cinéma à un tournant de sa carrière. Saisir l’instant où bascule sa trajectoire.
A l’approche des évènements de mai 68, qu’il a en partie anticipés dans ses films, Jean-Luc Godard n’a pas quarante ans. Et, semble-t-il, il n’a plus rien à prouver. Sa filmographie est impressionnante (A bout de souffle, Le mépris, Bande à part, Pierrot le fou…) Il a révélé et /ou fait tourner les plus grands acteurs de son époque (Brigitte Bardot en tête). Il est un théoricien du cinéma éminemment reconnu. Son succès est éclatant auprès des cinéphiles comme du grand public à une époque où le 7ème art alimente inlassablement les conversations.
Et pourtant! Plus rien ne trouve grâce à ses yeux, il en veut à la terre entière, c’est un bulldozer qui écrase tout sur son passage : Il renie la Nouvelle Vague dont il est l’un des initiateurs. Il foule aux pieds ses propres films comme le cinéma de ses contemporains, se brouillant par là même avec ses plus proches. Il est persuadé que le combat politique doit mobiliser les artistes et peut seul donner un sens à l’œuvre. Hélas, l’accueil glacial réservé à son dernier film, La chinoise, le laisse désemparé. Sans compter que, suprême agacement, Jean Vilar ne cesse de se méprendre sur le titre, parlant de La Tonkinoise ! Il peine à trouver sa place parmi les mouvements étudiants. Son évolution vers un cinéma marqué par le maoïsme n’attire guère. Et finalement, il se coupe de son public qui ne reconnaît plus son réalisateur fétiche. Bref, il s’apprête à entamer sa traversée du désert. Il ne reviendra sur le devant de la scène cinématographique qu’en 1980 avec Sauve qui peut la vie.
S’appuyant sur l’œuvre autobiographique d’Anne Wiazemsky (Une année studieuse et Un an après) qui fut l’épouse de Godard à l’époque des faits, Michel Hazanavicius dresse un portrait facétieux du grand cinéaste. Comme à son habitude, le goût de l’humour et du pastiche l’emportent à l’image de sa série OSS avec Jean Dujardin. L’interprétation de Louis Garrel sert parfaitement son réalisateur. Quelle fantastique performance ! Injuste, désagréable, égoïste, c’est peu dire que Godard n’apparaît pas toujours à son avantage. Mais ce sont ces défauts qui finalement le rendent attachant avec sa démarche empruntée, sa diction heurtée et ses lunettes trop souvent cassées pendant les rixes de mai 68. Hélas, lui qui est myope comme une taupe ! La jeune Stacy Martin dans le rôle d’Anne est également très convaincante, transmettant judicieusement le texte d’Anne Wiazemsky : son admiration pour le grand cinéaste mais aussi la certitude que leur couple désaccordé n’est pas fait pour la durée : « Je veux vivre le plus longtemps possible avec toi. Mais je sais que ce n’est pas pour toute la vie, que j’aurai d’autres amours et d’autres vies. ». Une belle histoire, ce mariage éclair né de la volonté d’Anne, petite fille de François Mauriac, de s’éloigner d’un milieu familial parfois pesant et de l’attirance de Godard pour la jeune actrice ingénue.
En 2017, nous avons eu la chance d’accueillir à Edimbourg le grand spécialiste du cinéma Antoine de Baecque, auteur d’une remarquable biographie de Jean-Luc Godard.
It was an audacious try to portray a cinema giant at a turning point of his career, to cease the moment where everything was about to change.
Right before the May 68 events, which he anticipated in his movies, Jean-Luc Godard was not even forty years old. But he had nothing more to prove: his filmography was impressive (A bout de souffle, Le mépris, Bande à part, Pierrot le fou…) and he had helped to reveal the greatest actors of his time (such as Brigitte Bardot). He was an eminently recognised film theorist, greatly praised by moviegoers as well as the general public at a time when the seventh art was in the middle of all conversations.
Yet nothing could please him anymore; he was angry with the world, like a bulldozer that crushed everything on its way. He even denied the New Wave movement, of which he had been one of the initiators. He despised his own movies and got into arguments with his entourage. He was convinced that political struggle must mobilise artists and that it can alone give meaning to his work. Sadly, the poor public reception of his last movie, 'La chinoise', left him distraught. He eventually took a step back from the cinema world and only reappeared in 1980 with the movie 'Sauve qui peut la vie'.
Drawing on the autobiographical work of Anne Wiazemsky (Une année studieuse and Un an après) who was Godard’s wife at the time, Michel Hazanavicius paints a facetious portrait of the great filmmaker. As usual, Hazanavicius’ taste for humour and pastiche prevail like in his OSS series with Jean Dujardin. Louis Garrel's interpretation also perfectly serves his director. What a fantastic performance! Unfair, unpleasant, selfish, Godard does not always appear to his advantage; but these features ultimately make him endearing. The young Stacy Martin in the role of Anne (François Mauriac’s granddaughter) is also very convincing, judiciously transmitting the text of Anne Wiazemsky: her admiration for the great filmmaker but also her certainty that their detuned couple is not made to last: "I want to live with you as long as possible. But I know that it’s not for life, that I’ll have other loves and other lives. " - a beautiful story portraying Anne’s will to move away from a sometimes heavy family environment and Godard's attraction for the young ingenious actress.
In 2017, we were fortunate to welcome the great cinema specialist Antoine de Baecque in Edinburgh, author of a remarkable biography of Jean-Luc Godard.
© Article par Catherine Guiat. Traduction Solange Daufès