En cette période de quarantaine et de distanciation sociale, l'envie de rentrer dans les magasins vous est peut-être apparue moins pressante, voire impossible à mettre en pratique. Le temps quant à lui, semble s’être étiré, nous invitant, si ce n'est à l'ennui, tout du moins à la contemplation de notre environnement immédiat. Alors, nous avons, dans nos espaces domestiques et à en croire les réseaux sociaux, cherché à occuper nos intérieurs et notre temps, en occupant nos mains. Nous avons cuisiné et pâtissé, nous avons bricolé, écrit, coupé nos cheveux, trié nos papiers, jardiné. Avons-nous, cependant, pensé à recoudre ce bouton manquant à notre chemise, cet accro dans notre jean favori, ou, plus audacieux, nous sommes nous aventurés à repriser nos chaussettes, si tristement trouées?
Englouties à partir du 19e siècle par le développement d'une production de masse des biens textiles et des services de réparation (voir l'article de Anna König « a Stitch in Time : Changing Cultural Constructions of Craft and Mending »), les pratiques de raccommodage, de reprisage et de broderie ne se présentent plus à nous, consommateurs du XXIe siècle, comme des savoir-faire contemporains démocratisés.
Pourquoi réparer quand il est plus facile et plus simple d'acheter ?
Pourtant, à bien considérer les problématiques écologiques qui sont aujourd'hui les nôtres, prendre le fil et l'aiguille n'est pas un geste anodin. Loin de l'image d'Epinal de la jeune fille sage s'exerçant humblement penchée sur son ouvrage, il s'agit, en effet, d'un pas de plus vers un mode de consommation autre ; d'un acte de résistance. C'était en tout cas le postulat de l'exposition Repair and Design Futures, en place d'octobre 2018 à Juin 2019 au RISD Museum.
Jusqu'alors largement l'apanage des maisons de couture parisiennes grâce auxquelles perdurent des techniques anciennes et complexes telles que le crochet de lunéville, la broderie connait d'ailleurs en France depuis quelques années, un certain renouveau amateur. C'est également le cas au Royaume-Uni – autre territoire historique de cet art de l'ennoblissement textile – où la Royal School of Needlework notamment, contribue activement à la transmission d'un tel patrimoine.
Ainsi, la place qui est à nouveau faite aux pratiques d'aiguilles au sein des foyers dans ce contexte de recherche de durabilité, bien que souffrant encore d'une forte stigmatisation de genre, témoigne d'un virage progressif dans notre relation individuelle aux objets.
Par le geste lent et répété qui fait le cœur de ce type de travaux, s'engage une pleine conscience, activant entre le propriétaire et sa propriété un rapport nouveau ; ou plutôt très ancien car oublié. En réparant et en ornant nos vêtements, si promptement achetés, si promptement jetés, un nouvel attachement à la matérialité du quotidien peut s'installer, né de l'intention de « prendre soin ».
Dans les réserves des musées, certains vêtements, ayant survécu aux outrages du temps, portent les signes de telles réparations. Trop usés, passés de mains en mains, ils racontent, à ceux qui s'y intéressent, de nombreuses histoires. Ce sont des histoires de corps qui, en vivant, ont façonné de l'intérieur les robes, les pantalons et autres vestes qu'il a fallu, par nécessité le plus souvent, mais aussi parfois par affection, recoudre, recouper et se réapproprier.
Cette potentialité narrative, qui fait des vêtements des sources historiques, est toujours d'actualité. Par la réparation et la réinvention, nous pouvons dans le temps présent continuer de faire parler ce qui nous habille. Voir cet article du Victoria & Albert Museum, dans lequel des membres de son personnel évoquent certaines pièces de leur vestiaire.
L'artiste anglaise Célia Pym, a également exploré pendant de nombreuses années ce langage de la réparation, interrogeant par son intervention l'impact d'un tel geste sur le vêtement et celui qui le porte. Voir la performance qu'elle a menée au V&A Museum.
Ainsi, une simple couture, une broderie modeste pour masquer une tâche, un trou de mite, sont autant de petites actions qui, en plus de faire passer le temps, ont le pouvoir discret de transmettre des idées, des messages, de ceux qui disent que l'art de repriser ses chaussettes peut, aussi, être un acte de création à part entière.
Pour vous laisser tenter, les références bibliographiques suivantes vous permettront d'expérimenter certains points de broderie simples et particulièrement adaptés au sauvetage d'un vêtement abîmé :
The Royal School of Needlework Book of Embroidery: A Guide To Essential Stitches, Techniques And Projects, RSN series, Search Press, 2018 (400 p.)
Jennifer Campbell, Ann-Marie Bakewell, The complete guide to embroidery stitches, Reader's Digest Association, 2008, (256 p.)
Publié sous le titre suivant en français : La broderie en 260 points. Méthode et application, Marabout, 2010 (256 p.) —> Voir aussi, Katrina Rodabaugh, Mending Matters, Abrahams, 2016 (228 p.)
The long-lost art of mending your socks
At this social distancing period, we may have felt less pressured to shop as popping by at our favourite stores became an impossible mission during the lockdown anyway. As time felt like stretched, we had no choice but to dive deep into, if not boredom, a contemplation of our immediate surroundings.
According to social media, it seems like we sought to keep our hands busy to fill the time and domestic space we were left with. We cooked, baked, we tinkered, wrote, cut our hair, sorted our papers, gardened. Yet has it crossed our mind to sew up this missing button on our shirt, that hole in our favourite jeans, or, even more daringly, have we considered darning a few of our ripped sad socks at all?
With the development of mass production in textile goods and repair services, the 19th-century and the Industrial Revolution have seen the gradual loss of knowledge in terms of textile mending practices. Whether it would be darning or embroidery, these techniques are no longer part of the widespread contemporary skillset for us, the consumers of the 21st-century. (See Anna König’s article « a Stitch in Time: Changing Cultural Constructions of Craft and Mending »).
Indeed, why bother with repairing when it is so much simpler to just buy a new piece?
Yet, when one carefully considers the ecological issues and far from the stereotypical image of the wise girl leaned towards her work to keep up with her humble practice, picking up the thread and the needle today can change the way we are used to consuming. It can even bring us a step closer to a form of social activism. This was at least the main argument of the Repair and Design Futures exhibition, that took place between October 2018 to June 2019 at the RISD museum.
Nowadays, old and complex techniques like the Lunéville hook currently live thanks to Parisian fashion houses. It is however within our homes that embroidery has seen a revival in France and in the UK. The UK is another historic territory in the art of textile finishing and the Royal School of Needlework also contributes actively to transmitting such heritage to generations.
It is therefore in the context of research for sustainability that needle practices can regain their place in our households. Even though still suffering from strong gender stigmatisation, this shift demonstrates a progressive turn in our individual relationship to objects.
The slow and repeated gesture at the heart of needlework type of activity engages our full conscience, activating between the owners and their property a new relationship; a forgotten attachment that sparks from taking care of everyday objects.
In museum storages, a countless number of items of clothing having survived the ravages of time bear signs of such repairs. Over-worn or changed hands, these pieces reveal many stories to attentive eyes. Stories of the body which, through life, shaped from the inside the dresses, trousers or jackets which most often out of necessity, but also sometimes out of affection, were cut and sewed again to reclaim ownership.
This narrative potential, which makes clothes historical sources, is still relevant today. Through repair and reinvention processes, we can, at present, continue speaking out. The Victoria & Albert Museum article where staff members talk about certain pieces from their locker room supports this claim.
English artist Celia Pym also explored for many years this language of mending, questioning the impact of such gesture on the garment and the person wearing it. See her performance at the V&A Museum.
Simple sewing, a modest embroidery to hide a spot, a mite hole, are all small actions which therefore not only make us pass time but also discreetly empower to transfer ideas and messages from those, who believe that the art of darning socks can also be an act of creation in its own right.
Tempted? The following references will allow you to experiment with some simple embroidery stitches. These are also particularly suitable to rescue damaged clothing :
The Royal School of Needlework Book of Embroidery: A Guide To Essential Stitches, Techniques, And Projects, RSN series, Search Press, 2018 (400 p.)
Jennifer Campbell, Ann-Marie Bakewell, The complete guide to embroidery stitches, Reader's Digest Association, 2008, (256 p.)
Published under the following title in French: La broderie en 260 points. Méthode et application, Marabout, 2010 (256 p.)
-> See also: Katrina Rodabaugh, Mending Matters, Abrahams, 2016 (228 p.)
Graduated from the Sorbonne University in art history and cultural heritage management, Adeline Barré specialises in the conservation of textile collections. In parallel, she also maintains a hand embroidery activity.
Diplômée de l'Université de la Sorbonne en histoire de l'art et gestion du patrimoine culturel, Adeline Barré s'est spécialisée dans la conservation des collections textiles. Elle a en parallèle une activité de brodeuse main.
© Article par Adeline Barré
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