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La Solidarité mise à l’honneur par Alain Mabanckou

Nous souhaitons faire circuler la lettre de soutien et d’appel à la solidarité qu’Alain Mabanckou a adressée à la France au sujet de ces temps d’incertitudes et de réclusion forcée. Alain Mabanckou, originaire du Congo Brazzaville, a fait ses études à Nantes avant de s’orienter vers la littérature. Il est l’auteur, entre autres, de Verre cassé et Mémoires de porc-épic (prix Renaudot 2006). Alain Mabanckou est venu en Ecosse en 2015 pour participer au Festival International du Livre et à un évènement littéraire à l’Institut français. A cette occasion il nous avait fait une très belle lecture de son livre Lumières de Pointe-noire, consacré au souvenir de sa mère et dans lequel il explore avec beaucoup de mélancolie les thèmes de l’exil et de l’absence. Alain Mabanckou est également un passionné de langage et de francophonie. Il aime par dessus tout voyager et rencontrer des auteurs francophones à travers le monde (Le monde est mon langage, 2016). Si aujourd’hui tout déplacement est proscrit en raison des circonstances, il nous reste le langage et les trésors de la littérature.


We were honoured to receive the Franco-Congolese author Alain Mabanckou at the French Institute in Scotland in 2015 where he talked about his book The Lights of Pointe-Noire devoted to the memory of his mother and his family members and where he explores the themes of exile and absence. On Sunday, he wrote a supportive letter to France with a call to solidarity against, what he describes as, the ‘imperceptible enemy’. Alain Mabanckou was born in Congo Brazzaville and studied in Nantes (France) before moving towards literature. He is the author of numerous books such as Broken Glass and Memoirs of a Porcupine for which he received several prizes. Alain Mabanckou is a language and francophone enthusiast, passionate about the World and travelling. If today movements are restricted, we thankfully still have the language and the treasures of literature.


© Photo Shevaun Williams



"Los Angeles, le 22 mars 2020,


Chère France,


Je suis loin de toi, pourtant plus que jamais proche de ton cœur en ces temps où le monde doute de lui-même, agressé par un ennemi imperceptible. Les conséquences désastreuses de ces attaques ont considérablement changé notre manière de nous témoigner notre amour. Si je ne peux à présent t’embrasser, te prendre la main ou te chuchoter les mots les plus tendres, mes pensées, elles, n’ont jamais été aussi fortes que pendant cette période de confinement.


La Californie où je réside a, elle aussi, limité les mouvements des individus, les réduisant à demeurer en permanence dans leur domicile. Je lis avec attention tes nouvelles qui traversent l’Atlantique, je me réjouis des énergies que tu déploies, et c’est toujours ainsi que tu as souvent surmonté les épreuves les plus tragiques de ton histoire.


Dans mes prières quotidiennes, je pense aux personnes les plus fragiles, aux démunis, à celles qui risquent leur vie pour nous, à celles qui proposent leur humilité et leur générosité en réponse à la propagation de cette pandémie qui ne nous laisse pas pour l’heure entrevoir le bout du tunnel d’où proviendrait la lueur salvatrice du soulagement.


Dans cette atmosphère, nos querelles habituelles ne deviennent plus que des échos insipides, et tout ce que nous avons jusqu’alors pris pour acquis affiche désormais un coût hors de notre portée, quelle que soit notre classe sociale.


J’ai appris depuis mon pays d’origine, le Congo-Brazzaville, que le malheur a la mémoire courte et la vue réduite. Il se moque des mappemondes, des noms de contrées et entre chez vous sans frapper à la porte. Notre ultime bouclier a pour nom solidarité. Mais nous avons perdu son sens pour le règne impitoyable du chacun pour soi. Nos illustres écrivains nous ont pourtant dissuadé d’emprunter cette sente de l’égocentrisme.


Pour Victor Hugo, « le propre de la solidarité, c’est de ne point admettre d’exclusion ».


Dans Terre des Hommes Saint-Exupéry a noté des propos qui prennent actuellement une résonnance particulière :


« En travaillant pour les seuls biens matériels nous bâtissons nous-mêmes notre prison. Nous nous enfermons solitaires, avec notre monnaie de cendre qui ne procure rien qui vaille de vivre. »


Des mots qui devraient pousser à la réflexion celles et ceux qui estiment que leur survie individuelle est au-dessus de l’urgence de la pérennité du genre humain…


Mais, chère France, la solidarité que nous réclamons aujourd’hui devrait également prévaloir demain lorsque le soleil reprendra majestueusement son cycle, satisfait d’avoir enfin consumé l’armée de ces bêtes terribles qui, dans leur capacité d’ouvrir les batailles sur tous les fronts, s’imaginaient défaire notre planète en s’appuyant sur notre impréparation.


Nous sommes une chaîne dont chacun des maillons, même les plus minuscules, contribue à la concordance et à l’équilibre de notre existence…


Alain Mabanckou"


© Article écrit par Catherine Guiat. Lettre venant de l’article France Inter.

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