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Chronique Littéraire : À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert (1821-1880)

Gustave Flaubert, Lettres à Louise Colet Michel Winock, Flaubert, Gallimard, 2013.

Correspondance 1846- 1851, Magnard, 2003.



Le pêcheur de perles




Si un jour on vous pose la question : « Que faut-il lire de Flaubert ? » répondez sans hésiter : « Tout » et si votre interlocuteur insiste, lancez un : « Lettres à Louise Colet » et vous faites d’une pierre deux coups, car on lira par la suite les textes de Louise Colet.


Lorsqu’en 1846, Gustave Flaubert la rencontre à Paris, elle pose dans l’atelier de son ami le sculpteur James Pradier, il n’a que vingt-cinq ans, elle en a onze de plus. Lui, n’a rien publié alors qu’elle est connue dans le monde littéraire, elle a reçu des prix de l’Académie et fréquente assidûment les salons littéraires renommés comme celui de Julie Récamier qui réunit les politiques et les artistes les plus en vue à cette époque.


Si l’un ne s’engage pas dans les combats de son temps, l’autre paraît plus audacieuse en publiant des textes qui se réclament du féminisme (1) comme « Folles et saintes » (1844) ainsi que « Les derniers marquis » (1867) qui s’affiche une satire contre la noblesse. Montée à Paris en 1836 de sa ville natale d’Aix-en-Provence, Louise s’affiche comme socialiste, fréquente le philosophe et ministre Victor Cousin et compte parmi les auteures de cette époque à l’instar de George Sand et de Daniel Stern. Elle fait partie de celles qui écrivent et qui publient.


De cette rencontre entre Colet et Flaubert, on retiendra les lettres à Louise Colet qui attestent un échange de réflexion sur l’écriture, sur la littérature et sur ceux qui l’écrivent. Bien que Flaubert ait détruit par la suite sa correspondance – en la jetant au feu devant le jeune Maupassant médusé- on a toutefois en creux l’esprit de l’écrivaine qui sait bellement le piquer : « Pourquoi dis-tu sans cesse que j’aime le clinquant, le chatoyant, le pailleté ! Poète de la forme ! » (Lettre du 18 septembre 1846) se défend Flaubert pour qui « l’idée n’existe qu’en vertu de la forme ».


L’époque de Louise Colet et de Flaubert, c’est aussi tout le tourbillon du Second Empire, ce siècle plein de changements, des revendications égalitaires, des doctrines socialistes, des conservateurs qui resserrent leur rang, des cercles littéraires qui tranchent sur les œuvres, des journalistes qui défont les ambitions « on fait de la critique quand on ne peut pas faire de l’Art » lance Flaubert. Et s’il continue de blâmer Louis-Philippe et son régime bourgeois, il ne s’affiche pas pour autant républicain aux côtés de son amie George Sand (2) et du cercle de Nohant. Flaubert ne cherche pas être estampillé comme auteur réaliste, naturaliste ou anti bourgeois, il ne veut pas « mettre sa personnalité en scène » assure-t-il à George Sand « C’est là une manie actuelle ; on rougit de son métier. Faire tout bonnement des vers. Écrire un roman, creuser du marbre, ah ! fi donc ! C’était bon autrefois, quand on n’avait pas la mission sociale du poète. Il faut que chaque œuvre maintenant ait une signification morale (…). L’avocasserie se glisse partout, la rage de discourir, de pérorer, de plaider, la muse devient le piédestal de mille convoitises » (Lettre du 18 sept. 1946).


Toute participation à un collectif d’une revue, de publication ou de vie publique le rebute. Il n’y voit que la connivence et les intérêts de chacun qui se pointent au détriment du travail acharné sur les textes mêmes. Auteure qui vit de sa plume, Louise Colet tente continuellement de placer ses poésies dans les journaux et cela malgré la charge virulente des critiques des cercles littéraires masculins. Quand elle lui parle de ses découragements en écriture, il répond en parfait accord avec elle sur ceux qui discourent sur la littérature et peuvent laisser aller leurs phrases. Pour sa part, il confirme son obsession de l’exercice contraignant de l’écriture : « Depuis lundi dernier, j’ai exclusivement toute la semaine pioché ma Bovary, ennuyé de ne pas avancer. (…) Je mène une vie âpre, déserte (…) et je n’ai que pour me soutenir qu’une espèce de rage permanente » (Lettre du 24 avril 1852). Au fils de la correspondance qu’il entretient avec Louise, Flaubert expose ce qu’il attend de la littérature et de lui-même. L’écriture est exigence et il faut y revenir en permanence : « Parmi les marins, il y en a qui découvrent des mondes, qui ajoutent des terres à des terres et des étoiles aux étoiles. Ceux-là sont des maîtres, les éternellement beaux (…) Moi, je suis l’obscur et patient pêcheur de perles qui plonge dans les bas-fonds et qui revient les mains vides et la face bleuie » (Lettre du 7 octobre 1846).


Peut-être que Flaubert comprenait-il que la littérature du XIXème s’essoufflait dans ce siècle finissant ? (3) : « Aucune pensée humaine ne peut prévoir maintenant à quels éblouissants soleils psychiques écloront les œuvres de l’avenir. En attendant, nous sommes dans un corridor plein d’ombres ; nous tâtonnons dans les ténèbres (…) écrivailleurs que nous-sommes » (Lettre du 24 avril 1852).


La légende antique rapporte que le roi Mithridate qui gouvernait le Royaume du Pont absorbait des poisons en faible dose et tenta de se suicider en vain, dû à son accoutumance. On se plaît alors à imaginer Flaubert en Mithridate rongé par le poison de son art pour revenir des bas-fonds les mains pleines de perles.


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If one day someone asks you: "What should I read by Flaubert?" Answer without hesitation: "Everything" and if your interlocutor insists, throw a: "Letters to Louise Colet" and you would kill two birds with one stone because the person would then read the texts of Louise Colet as well.


When Gustave Flaubert met her in Paris in 1846, she posed in the studio of her friend, the sculptor James Pradier. He was only twenty-five; she was eleven years older. He had not published anything, while she was well-known in the literary world. She had received awards from the Academy and assiduously attended renowned literary salons such as the one of Julie Récamier that brought together the most prominent politicians and artists at that time.


If one did not engage in the battles of his time, the other seemed more daring by publishing texts that claim to be feminist (1) such as "Folles et Saintes" (1844) as well as "Les derniers marquis" (1867), a satire against the nobility. Having moved to Paris in 1836 from her hometown of Aix-en-Provence, Louise appeared as a socialist, frequented the philosopher and minister Victor Cousin and was among the authors of the time, like George Sand and Daniel Stern. She was one of those who wrote and published.


From the encounter between Colet and Flaubert, we remember the letters to Louise Colet. The letters attested to an exchange of ideas on writing, on literature and on those who write it. Although Flaubert subsequently destroyed his correspondence - by throwing it into the fire in front of the bewildered young Maupassant - we still perceive her mind with the way she enjoyed to prick him: "Why do you keep saying that I love the tinsel, the shimmering, the glitter! Poet of form! "(Letter of September 18, 1846) defended Flaubert for whom "the idea only exists under the form".


The era of Louise Colet and Flaubert was also the whirlwind of the Second Empire. This century full of changes, egalitarian demands, socialist doctrines, conservatives who tightened their rank, literary circles who decided on works, journalists who defeated the ambitions "we do criticism when we cannot do Art" said Flaubert. And even if he continued to blame Louis-Philippe and his bourgeois regime, he did not appear to be a Republican alongside his friend George Sand (2) and the Nohant entourage. Flaubert did not seek to have a label as a realist, naturalist or anti-bourgeois author. He did not want to "stage his personality" he assured George Sand "this is a current craze; one blushes for one's profession. Simply make verses. Write a novel, dig marble, ah! Do so! It used to be good when you did not have the social mission of the poet. Each work now has to have a moral meaning (…). Advocate sneaks in everywhere, the rage to talk, to speak, to plead, the muse becomes the pedestal of a thousand lusts"(Letter of September 18, 1946).


Any participation in a collective of a journal, publication or public life repelled him. He only saw the connivance and the interests of each one to the detriment of the hard work on the texts themselves. An author who lived off her pen, Louise Colet constantly tried to place her poems in the newspapers, despite the virulent load of critics from male literary circles. When she told him about her writing discourages, he answered in perfect agreement with her about those who talk about literature and can let their sentences write themselves. For his part, he confirmed his obsession with the binding exercise of writing: “Since last Monday, I have exclusively worked on my Bovary all week, annoyed not to progress (...) I lead a harsh, deserted life (...) and I only have a kind of permanent rage to support myself" (Letter of April 24, 1852). Throughout his correspondence with Louise, Flaubert explained what he expected from literature and himself. Writing is a requirement, and we have to come back to it constantly: “Among the sailors, there are those who discover worlds, add lands to lands and stars to stars. These are masters, the eternally beautiful (…) I, I am the obscure and patient pearl fisherman who dives into the shallows and returns with empty hands and a blue face” (Letter of October 7, 1846).


Perhaps Flaubert understood that 19th-century literature was running out of steam in this coming century? (3): "No human thought can predict now to what dazzling psychic suns the works of the future will hatch. In the meantime, we are in a corridor full of shadows; we grope in the darkness (…) writers that we are” (Letter of April 24, 1852).


Ancient legend reports that King Mithridates (who ruled the Kingdom of Pontus) absorbed poisons in small doses and attempted suicide in vain due to his addiction. We then like to imagine Flaubert as Mithridates eaten away by the poison of his art to return from the shallows with his hands full of pearls.

 

Notes : (1) Cf. La biographie sur Flaubert de l’historien Michel Winock : « Louise Colet ne ménage pas sa peine, elle écrit à profusion (…) elle a des convictions politiques. Rapprochée des féministes et des socialistes, ce qui l’amène à soutenir le journal de l’Union ouvrière de Flora Tristan. Le recueil de nouvelles, Saintes et folles, atteste son engagement dans la cause des femmes » (p. 87 et ss.)

See the biography on Flaubert by historian Michel Winock: "Louise Colet does not spare her efforts, she writes in abundance (...) she has political convictions. Close to feminists and socialists, which leads her to support Flora Tristan’s Labour Union newspaper. The collection of short stories, Saintes et folles, attests to her commitment to the cause of women” (p. 87 et seq.)


(2) Cf. la chronique littéraire du 8 mars sur George Sand à Nohant :


(3) C’est en 1913 que débute la parution des volumes de À la recherche du temps perdu dont la nouveauté de la prose marquera radicalement l’histoire de la littérature. Avec la Recherche, la forme des œuvres de Balzac, Flaubert, Maupassant et Zola se figent bellement mais immanquablement comme des statues pour l’éternité.

It was in 1913 that began the publication of the volumes A la recherche du temps perdu. The novelty of the prose radically marked the history of literature. With Research, the form of the works of Balzac, Flaubert, Maupassant and Zola are beautifully but inevitably frozen like statues for eternity.



© Article par Dr. Béatrice Marie Malinowski. Traduction Solange Daufes



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