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Chronique Littéraire - Des livres & vous : Perséphone 2014


PERSÉPHONE 2014 : LE MYTHE NE PARLE QUE DE NOUS-MÊMES

(The myth only speaks of us)


À propos du roman Perséphone 2014 de Gwenaëlle Aubry.

About the novel ‘Perséphone 2014’ by Gwenaëlle Aubry

© Par Dr. Béatrice Malinowski


The Return of Persephone, Frederic Leighton, 1881© Commons Wikimedia



Il est des romans qui plutôt que de ronronner, cultivent les incendies. Il faut se rendre à l’évidence, le récit de G. Aubry fait partie de ceux qui laissent des traces signifiantes par la singularité de son écriture et le déploiement de sa superbe mécanique fictionnelle. Si on rentre dans les romans actuels et prisés (prix-sés) comme dans un moulin, l’accès à Perséphone 2014, lui, se situe en soute, dans la salle des machines. En effet, pour s’approcher de la matrice qui met en marche cette fiction, l’auteure nous fait revisiter, dans une écriture en tension, le mythe de la jeune fille enlevée par le dieu des enfers.


Jusqu’ici, tout va bien, enfin presque. L’histoire raconte qu’un jour en Sicile, elle jouait avec les Océanides… On relit donc d’un œil et d’un pouce l’histoire de Perséphone pour se remémorer la trace de ce très ancien désastre. Préparation faite, l’image de la jeune fille devenue souveraine des enfers nous taraude tout de même et c’est là que l’auteure nous empoigne et annonce sans ambages « c’est tellement plus grand que vous, ça vous déborde, ça vous dépasse, même avec des échelles et des tours de Babel, vous n’y arriverez pas ». Elle nous fait donc entrer dans son récit avec elle (allitération d’un je/vous/tu) « Jadis, j’étais Korè et devint Perséphone », « Vous étiez là (…) Sommes-nous sortis de ce moment-là, en sommes-nous revenus ». Mince alors, on y était !


Ici, ceux que le vertige dérange devront descendre du carrousel de la fiction, car l’auteure écrit en écho à des moments intenses passés qui nous relient et nous lisent, puisque ça ne parle que de nous. De nous ? Effectivement, de vous. En littérature, prendre le mythe comme matrice du roman, c’est une figure classique mais placer le curseur sur le point de convergence entre un mythe et une vie, voire une vie capturée par un mythe, là on sait que seul G. Aubry est à la manœuvre.


Aux aventures duelles (diurne/nocturne) de Perséphone, celle qui circule entre le monde souterrain et celui d’en-haut où elle retrouve sa mère Déméter, répond un format singulier comprenant deux parties séparées par un feuillet noir -Ruines et Tentative de retour- qui correspondent à l’antique oscillation binaire de la Katábasis-Anabasis.


Katábasis (κατάϐασις) est en grec ancien “l’action d’être entraîné vers le bas, l'une des épreuves qualificatives les plus décisives de l'initiation et de la formation du héros épique : la descente dans le monde souterrain et - selon le cas - de sa renaissance dans l’autre monde. Figure fort connue de la culture occidentale que l’on retrouve dans les aventures d’Ulysse, Enée (Aineías), Hercule, Orphée entre autres. En bref, via nos quelques accointances avec les héros et les héroïnes vers le VIIIème siècle avant J.C, on sait bien que le passage aux enfers était de rigueur.


Qu’en est-il aussi du deuxième mouvement : la tentative du retour - Anabasis (ἀνάβασις) “la montée”- celle de finir la vie violente et de revenir, de recoudre, de suturer. Et comment revenir ? En dernier lieu, veut-on retourner ? Là, suivez l’auteure alias Perséphone, elle le sait.


À force de cheminer dans les labyrinthes des textes anciens, G. Aubry accole avec brio l'archaïque au contemporain avec une écriture exigeante et poétique et confirme qu’il faut prendre au sérieux la phrase de W.B. Yeats, placée en épigraphe : « J'ai souvent eu l'idée qu'il existe pour chaque homme un mythe qui, si nous le connaissions, nous permettrait de comprendre tout ce qu'il a fait et pensé ».




G. Aubry’s novel is one of those books that leave significant traces because of the singularity of its writing and its superb fictional mechanics. For the matrix to set the fiction in motion, the author revisits, with tense writing, the myth of the young girl kidnapped by the god of the underworld.


The story narrates how, one day in Sicily, Persephone was playing with the Oceanids ... It is important here to reread or remember the story of Persephone to recall this very ancient disaster. Once prepared, the image of the young girl, sovereign of the underworld, continues to torment us but it is here that the author grabs us and announces bluntly "it's so much bigger than you, it overflows you, it exceeds you, even with ladders and towers of Babel you will not succeed”. She, therefore, places the readers in the story with her (use of I/you) "Formerly, I was Korè and became Persephone", "You were there (...) Are we out of that moment, are we back”.


The author echoes intense moments of the past that connect us and read us since they only address us. Us? Indeed, you. Taking the myth as the matrix of the novel is a classic figure in literature, but placing the cursor on the point of convergence between a myth and a life, even a life captured by a myth, is quite specific to G. Aubry’s writing style.


Persephone’s dual adventures (diurnal/nocturnal), circulating both in the underworld and in the world above where she finds her mother Demeter, follow a singular format comprising two distinct parts – ‘Ruines’ and ‘Tentative de retour’ - which correspond to the ancient binary oscillation of the Katábasis-Anabasis.


Katábasis (κατάϐασις) means in ancient Greek “the action of being dragged down” - one of the most decisive qualifying tests in the initiation and training of an epic hero: the descent into the underworld and, in some cases, their rebirth in the other world. This is a well-known figure in Western culture that can be found in the adventures of Ulysses, Aeneas (Aineías), Hercules, or Orpheus among others. In short, through our few acquaintances with heroes and heroines around the 8th century BC, we know that the journey to the underworld/hell was de rigueur.


But what about the second journey: the attempt to return? Anabasis (ἀνάβασις) means “the rise”: ending the violent life and coming back, stitching up, suturing. And how to go back? Do we want to go back? You will have to follow the author, alias Persephone, to find out.


G. Aubry brilliantly joins the archaic to the contemporary with a demanding and poetic writing style and confirms that we must take the sentence of WB Yeats placed in the epigraph seriously: “I have often had the fancy that there is some one myth for every man, which, if we but knew it, would make us understand all he did and thought.”



 

Gwenaëlle Aubry est née en 1971. Ancienne élève de l’École normale supérieure et du Trinity College Cambridge, agrégée et docteure en philosophie, elle est directrice de recherche au CNRS. Elle est l’auteure de récits, d’essais et de romans traduits dans une dizaine de langues parmi lesquels Le diable détacheur (Actes Sud, 1999), L’Isolée et L’Isolement (Stock, 2002 et 2003), Notre vie s’use en transfigurations (Actes Sud, 2007), écrit en résidence à la Villa Médicis, Partages (Mercure de France, 2012), Lazare mon amour (L’Iconoclaste, 2016), Perséphone 2014 (Mercure de France, 2016), La Folie Elisa (2018). Elle a reçu, en 2009, le prix Femina pour Personne (Mercure de France) récit sur son père atteint d'une psychose maniaco-dépressive. À partir du journal qu'il a tenu et qu'elle a retrouvé après sa mort mais également de ses souvenirs, elle y trace le portrait fragmenté d'un homme étranger à lui-même et au monde.


Gwenaëlle Aubry was born in 1971. Former student of the École normale supérieure and the Trinity College of Cambridge, associate and doctorate in philosophy, she is a research director at the CNRS. She is the author of stories, essays and novels translated into a dozen languages ​​including ‘Le diable détacheur’ (Actes Sud, 1999), ‘L'Isolée and L'Isolement’ (Stock, 2002 and 2003), ‘Notre vie s'use en transfigurations’ (Actes Sud, 2007) written while in-residence at the Villa Médicis, ‘Partages’ (Mercure de France, 2012), ‘Lazare mon amour’ (L'Iconoclaste, 2016), ‘Perséphone 2014’ (Mercure de France, 2016), ‘La Folie Elisa’ (2018). In 2009, she received the Femina Prize for ‘Personne’ (Mercure de France) - a book that recounts her father’s manic-depressive illness, which she wrote after finding his private diary (following his death) and from her own memories. She depicts in this book the fragmented portrait of a man, stranger to himself and to the world.



© Translation Solange Daufès

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