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Book recommendation: Les infréquentables frères Goncourt by Pierre Ménard

Pierre Ménard, Les infréquentables frères Goncourt, Tallandier, 2020


Les frères Goncourt sont passés à la postérité en léguant leur fameux prix, incontournable célébration de l’année littéraire française. Pourtant, les inséparables compères sont peu connus du lecteur d’aujourd’hui. C’est donc fort à propos que le jeune biographe et historien, Pierre Ménard, nous livre le fruit de ses recherches, une étude très fouillée et souvent drôle sur ces deux diaristes à la plume impertinente.


Edmond et Jules de Goncourt héritent d’une honorable fortune à l’âge où il convient de choisir une carrière. A la bonne heure! car ni l’un ni l’autre ne souhaitent s’embarrasser des contraintes d’un emploi régulier. Rentiers! voilà qui sonne juste même si d’aucuns diront que c’est un peu faible pour les fils d’un défenseur de l’empire. Peu importe, leur vocation, ce sont les arts et les lettres auxquels ils s’adonnent sans relâche, convaincus de leur immense talent. Surtout, ils se confondent dans l’écriture, une « hydre » à deux têtes qui a tant marqué leurs contemporains : un « être hybride, symétrique et complémentaire, monstrueux pour certains, fascinant pour d’autres, est évident pour les intéressés qui se rêvent jumeaux et même siamois, au point de signer leurs lettres de leurs deux initiales accolées. » Et pourtant, les frères sont pour le moins dissemblables, l’aîné Edmond, un solide brun dont la verve acide cache une certaine timidité par opposition à Jules, son jeune cadet, un frêle blondinet ouvertement désobligeant, voire cruel. Bref, on comprend dès l’abord que le duo a frappé son entourage, mais pas toujours dans un sens favorable : « Le jeune était impertinent, l’aîné était présomptueux ; et ils n’étaient amusants ni l’un ni l’autre » dira laconiquement le secrétaire de Sainte-Beuve.


Un couple « infréquentable » donc, et à plus d’un titre comme Pierre Ménard se plaît à le décrire ; tant il se délecte de leurs aphorismes vengeurs dont il parsème son étude. Il est vrai que les deux misanthropes ne sont pas avares de perfidies à l’égard de leurs contemporains, surtout s’ils bénéficient des faveurs du public et de la critique. Les plus grands en feront les frais : George Sand, la « communiste », dont ils admirent le talent malgré leur misogynie intrinsèque les tiendra éloignés de Nohant. Les soirées de Médan ne seront pas davantage les leurs : Zola, d’abord fasciné par leurs romans, naturalistes avant l’heure, s’attirera les foudres des Goncourt lorsque sa popularité s’imposera. Las, la postérité retiendra L’assommoir bien devant Germinie Lacerteux. Le mélancolique Baudelaire, « le Saint Vincent de Paul des croûtes trouvées » les indispose au plus haut point. Tout comme Victor Hugo, le républicain honni, dont le narcissisme serait sans égal. Même leurs « amis » se méfient : Flaubert, qualifié de « génie provincial », est vigoureusement interrompu dans son « gueuloir ». Quant à Alphonse Daudet, le dernier des fidèles, chez qui Edmond a passé ses ultimes moments, il avouera qu’il s’exprimait toujours avec beaucoup de retenue devant les frères Goncourt, par crainte d’être cité dans leur journal.


Car le journal, voici l’œuvre majeure des Goncourt. De cuisants échecs au théâtre, une consécration littéraire tardive les mènent à cette voie parallèle où ils excellent. Certes, leur jugement est sévère pour le XIXème siècle et ne vise pas à l’objectivité. Ils décrient sa bourgeoisie triomphante et ses émeutes populaires par opposition à la grandeur d’esprit du XVIIIème siècle. Il n’en demeure pas moins que le journal des Goncourt dresse un tableau précieux de la société de leur époque. A travers leurs descriptions pleines d’acrimonie, c’est un pan de l’humanité qui se dessine. Un document inestimable pour l’historien des arts et des lettres tant il fourmille de détails sur la vie parisienne. La passionnante biographie de Pierre Ménard nous invite à le redécouvrir.


The Goncourt brothers entered history by bequeathing their famous prize, an inevitable literary celebration in France. Yet, the inseparable brothers are little known to the readers of today. It is, therefore, very fitting that the young biographer and historian, Pierre Ménard, presents us the outcome of his research, a very in-depth and often funny study of these two diarists with their impertinent pen.


Edmond and Jules de Goncourt inherited an honourable fortune when it was appropriate to choose a career. All in good time! Because neither wanted to bother with the constraints of regular employment. Regardless, their vocation was the arts and letters to which they tirelessly devoted themselves, convinced of their immense talent. They merged into their writing, a two-headed "hydra" that has marked their contemporaries so much: a "hybrid, symmetrical and complementary being, monstrous for some, fascinating for others, is obvious to those dreaming of being twins or even Siamese, to the point of signing their letters with their two initials side by side". And yet the brothers were dissimilar, to say the least, the elder Edmond, a sturdy dark-haired man whose sour verve hides a certain shyness as opposed to Jules, his younger brother, a frail blond-haired man who is openly derogatory, even cruel. In short, we understand from the beginning that the duo struck those around them, but not always in a favourable sense: “The youngster was impertinent, the elder was presumptuous, and neither of them was funny” said the secretary of Sainte-Beuve.


A "not frequentable" duo, and in more than one way as Pierre Ménard likes to describe it, so much that he sprinkles his study with delight with their vengeful aphorisms. The two misanthropes were indeed not stingy with perfidy towards their contemporaries, especially if the public and the critics show them their support. The older ones paid the price: George Sand, the “Communist”, whose talent they admire despite their inherent misogyny, kept them away from Nohant. The evenings in Médan were not theirs either: Zola, at first fascinated by their novels naturalists before their time, eventually attracted the wrath of the Goncourts when his popularity took hold. Alas, posterity remembers L’assommoir well ahead of Germinie Lacerteux. The melancholic Baudelaire, “the Saint Vincent de Paul of the found coats” upset them to the highest point. Just like Victor Hugo, the despised Republican, whose narcissism is unparalleled. Even their "friends" are wary: Flaubert, described as "provincial genius", is vigorously interrupted in his "shouting". As for Alphonse Daudet, the last of the faithful with whom Edmond spent his final moments, admitted that he always spoke with great restraint in front of the Goncourt brothers, fearing of being quoted in their diary.


Because the newspaper was the main work of the Goncourt brothers: a late literary consecration led them to this parallel path where they excelled following bitter failures in the theatre. Admittedly, their judgment was severe for the 19th century and did not aim at objectivity. They decried its triumphant bourgeoisie and public riots in opposition to the grandeur of the spirit of the 18th century. The fact remains that the Goncourt newspaper paints a valuable picture of the society of the time. Through their descriptions full of bitterness, it is a part of humanity that appears. An invaluable document for the historian of arts and letters as it is teeming with details of Parisian life. The fascinating biography of Pierre Ménard invites us to rediscover it.



© Article par Catherine Guiat. Traduction Solange Daufès

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